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5.1- Culture

  • Visibilité ou représentation du réel, il faut choisir !

    Visibilité ou représentation du réel, il faut choisir !

    Philippe JOURDAN, professeur des universités, UPEC  

    Jean-Claude PACITTO, maître de conférences, UPEC

    Le communauté des professionnels du marketing et de la communication est menacée, depuis quelques années, d’un virus épistémologique mortel : celui de confondre deux concepts, pourtant très différents, la visibilité et la représentativité. A vouloir appuyer des décisions, souvent stratégiques, sur des faits visibles plutôt que sur des données représentatives, la sphère marketo-communicationnel pourrait à terme signer sa propre fin.

    En effet, force est de constater qu’à l’ère de la communication digitale et des réseaux sociaux, le visible devient le seul réel. Les signaux faibles, les prédispositions émergentes, l’opinion des influenceurs, le jugement des ambassadeurs, le goût des célébrités, les tendances du moment profitent de la formidable caisse de résonnance des réseaux sociaux et des supports digitaux, pour supplanter le réel, et imposer le visible comme le nouveau mantra. Le postulat sur lequel repose cette nouvelle approche est le suivant : l’acteur dont on rapporte l’expérience est le reflet d’une tendance lourde de la société, et ce qui est peu visible aujourd’hui est la réalité de demain. La visibilité se suffit donc à elle-même, elle a remplacé le réel et définitivement écarté toute précaution de représentativité. Or, il s’agit là d’un maillon faible de toute analyse sociologique mal conduite, qui consiste à généraliser un comportement en se basant sur une seule expérience.

    Ainsi que l’explique fort bien Coenen-Huther (2006), « en dépit de l’ascèse intellectuelle la plus rigoureuse, le risque est toujours présent d’attribuer à l’acteur une logique de comportement dont on juge la portée universelle alors qu’elle est liée à un contexte socio-culturel particulier ». Plus grave encore, ce qui est immédiatement visible est réel dès lors qu’il conforte notre sens personnel de l’évidence (Abel, 1948).

    Or, nous le savons bien, ce qui est évident est souvent faux, car, comme l’écrivait Aron (1967, 1991), « l’intelligibilité intrinsèque a presque toujours pour contrepartie l’équivoque », raison pour laquelle il convient de rejeter « l’intuition non contrôlée comme principe de compréhension » (Coenen-Huther, 2006).  Dans cette approche, la visibilité est vue comme une manifestation du réel : « ce qui est visible est vrai » affirment les adeptes de ce nouveau mantra, alors que l’inverse est tout aussi plausible, ce qui est vrai n’est pas forcément visible.

    Il y a donc bien un vice caché dans cette approche, car la visibilité n’est rien d’autre qu’un construit qui résulte largement d’effets de projection de petits groupes sociaux aux caractéristiques parfaitement identifiées. Le réel, en tant que phénomène social, n’est que la résultante des actions des acteurs sociaux -l’homo sociologicus propre à Boudon- et c’est alors l’agrégation des intentionnalités individuelles qui, en se composant, donnent lieu à des phénomènes collectifs, soutenus par des valeurs, des principes, des idéologies ou des croyances (Coenen-Huther, 2006).

    Ces effets de projection produisent des effets pervers redoutables : l’objectif n’est plus tant de révéler des tendances, que de les susciter et ensuite de les diffuser largement, en vue de les faire adopter par le plus grand nombre. L’homogénéisation sociologique qui est celui de cette communauté (élitiste, instruite, cultivée, urbaine, aisée, et souvent jeune) a engendré une homogénéité idéologique qui empêche toute remise en cause. La conséquente est évidente : la diffusion d’aprioris est préférée à la validation d’hypothèses, pourtant au cœur de toute démarche d’étude scientifique, et le marketing n’est pas épargné. Les nouveaux marketo-communicants saturent l’espace cognitif de concepts comme l’inclusivité, la diversité, l’identité de genre, la racialisation, l’ethnicisation, les digital natives, la Gen X, Y ou Z, en s’interrogeant trop rarement sur leur contenu, leur origine, et leur implication. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes communicants qui, des années après, remettent en cause ces mêmes construits, comme on a pu le voir récemment avec la remise en cause des fractures générationnelles.

    On ne cherche plus ni à comprendre, ni même à expliquer, ce qui est le fondement même des études marketing, mais à convaincre, et disons-le à imposer. Le risque est clairement de basculer dans une recherche militante, dont le but n’est pas « d’explorer l’inconnu, mais de trouver des chiffres susceptibles d’appuyer ses dogmes » (Heinich, 2021). L’idéologie a, de fait, totalement brouillé les frontières entre visibilité et représentativité. Ce sont autant de mantras qui n’ont pas à subir l’épreuve du test. Le simple fait de les réciter produit des effets. On n’interroge plus le réel, on le somme de s’adapter.

    Dans les études sur la consommation, le mot d’ordre est clair : le mouvement vers une consommation éthique, responsable (n’oublions pas citoyenne) est inéluctable, et malheur à ceux qui révéleraient que ce n’est pas la tendance principale ! Celui qui révèle le réel devient un déviant. Une autre conséquence de cette visibilité auto-produite (et donc auto-réalisatrice) réside dans le fait que toutes les catégories sociales qui ne souscrivent pas au nouveau credo sont marginalisées et regardées comme des parias. Lors de la crise des Gilets Jaunes, des journalistes du service public ont feint de découvrir qu’on ne parlait jamais de la France périphérique, des catégories moyennes et populaires. Un hasard ? S’il n’y avait les travaux de quelques francs-tireurs, comme Guilluy (2014), venu lui de la géographie, ou Fourquet (2019) qui, dans notre petit monde, s’intéresserait à eux ? Or la consommation est un phénomène complexe, qui ne peut exclure les classes populaires, et, plus généralement, comme pour tout phénomène sociologique, les majorités silencieuses au profit des minorités visibles.

    A défaut, certaines réalités échappent totalement au regard de l’analyste de la consommation des ménages, à savoir le poids des dépenses contraintes, la gestion critique des priorités d’achat, l’inflation perçue, la stagnation intériorisée du pouvoir d’achat, la fréquentation en hausse des circuits populaires d’achat, la consommation de marques premiers prix, la hausse de l’épargne de précaution dans un monde devenu incertain. Et au final, comment comprendre une forme de violence intériorisée (mais pour combien de temps), nourrie de frustrations au quotidien de ne pouvoir consommer, lorsque les priorités des marketeurs et des communicants, amplifiées par les réseaux sociaux, se focalisent sur la consommation éthique, responsable, écologique, partagée et collaborative ? Le sujet de la hausse du prix de l’essence est l’exemple le plus marquant. On voit avec quelle difficulté le gouvernement lui-même a du mal à quantifier le besoin des classes populaires, contraintes d’utiliser leur automobile : qui sont concernés ? où résident-ils ? combien sont-ils ? pour quels usages ? comment les toucher ? Autant de questions, dont les réponses ne peuvent s’appréhender que dans des études de grande ampleur, à l’image de celles qui ont fait les beaux jours du Credoc ou de l’Insee. Mais voilà, ne sont-elles pas devenues ringardes ?

    Du côté des entreprises, au nom d’une visibilité auto-réalisatrice, ces mêmes acteurs marketo-communicants, arrivent à convaincre les dirigeants de revoir leur positionnement et de partir à la conquéte de nouveaux territoires, ignorant les études sérieuses qui leur disent de ne pas (totalement) rompre avec leur clientèle légitime au risque de brouiller leur image et de ruiner leur capital de marque. C’est ainsi que dans le domaine de la mode, il convient de s’intéresser à toutes les formes de culture urbaine (graffiti, rap, slam, hip-hop, danses urbaines, human beatbox, etc.), quitte à aller batailler sur des niches de marchés déjà largement occupées, et sur lesquelles bien des marques n’ont aucune légitimité. Mais l’injonction à le faire est très forte, car dans la nouvelle posture épistémologique que nous décrivons, il n’y pas de place, de fait, pour la demi-mesure. Il y a un modèle sociétal sous-jacent qui devient de fait la nouvelle frontière pour tous les acteurs de la vie sociale et économique.

    La représentation du réel, dont l’un des outils méthodologiques est la représentativité statistique, devient donc un « gros mot ». Dans une vision idéologique des choses, on ne prend jamais en compte le réel. Le réel est une anomalie, et de toute façon nul besoin de chercher à le connaître scientifiquement, car les nouveaux concepts produisent leurs propres résultats et ceux-ci ne peuvent aller que dans le sens de l’Histoire. Le paradoxe est, qu’au nom de l’inclusivité et de la diversité, notre société est devenu excluante à force de se vouloir totalement homogène !

    #marketing #communication #reseauxsociaux #digital #visible #reel #representativite #sondage

    Sources

    Abel Théodore (1948).- « The operation called Verstehen”.- The American Journal of Sociology.- vol. 54.- p. 211-218.

    Aron Raymond (1967).- Les étapes de la pensée sociologique.- Paris, Gallimard.- Réédition 1991.- 662 pages.

    Coenen-Huther (2016).- « Compréhension sociologique et démarches typologiques ».- Revue européennes des sciences sociales.- p. 195-206.

    Fourquet Jérôme (2019).- L’archipel français : naissance d’une nation multiple et divisée.- Editions Points.- 528 pages.

    Guilluy Christophe (2014).- La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires.- Editions Flammarion, Paris.- 192 p.

    Heinich Nathalie (2021).- Ce que le militantisme fait à la recherche.- Editions Gallimard.- 48 pages.

     

     

  • Fier et heureux de vous annoncer la sortie de mon ouvrage chez DUNOD, 2ème édition

    Je suis fier de vous annoncer la sortie aux éditions #Dunod de la mise à jour de l'ouvrage dont je suis co-auteur #MarketingResearch.

    Cette nouvelle édition entièrement refondue accueille deux nouveaux co-auteurs, Eva Delacroix et Elisa Monnot, en plus d'Alain Jolibert et de moi-même. Il s'enrichit également de la présence de chapitres écrits ou co-écrits à plusieurs mains, grâce au talent d'universitaires et de professionnels, passionnés par la discipline de la Marketing Research.

    Cet ouvrage se veut ouvert à un large public, académique et professionnel. Pour les étudiants en Master, il est l'ouvrage de référence pour la production de travaux statistiques et de mémoires de recherche. Pour le professionnel en marketing, il permet d'aborder de manière très opérationnelle les techniques d'analyses et de modélisations de la donnée. A l'heure où la data est omniprésente, un ouvrage indispensable pour maîtriser les problématiques d'échantillons, de représentativité, de questionnement, d'analyse des réponses, de modélisation de la donnée, des tests d'hypothèses. J'aurai l'occasion de vous en dire plus dans les jours qui viennent.

    Je tiens à remercier chaleureusement Chloé Schiltz des éditions DUNOD pour son soutien constant à ce projet.

    #Dunod #marketresearch JOLIBERT ALAIN #statistiques #analysededonnees #BigData #IAEGustaveEiffel #Master #UPEC IAE Gustave Eiffel #panelontheweb #promiseconsulting

  • Mobylette : la nostalgie plein pot

    De l’ouvrier tourneur au blouson noir, du hipster au boulanger de campagne, chacun trouve dans ce qui est la contraction de « mobile » et de « bicyclette » un moyen de raccourcir les distances et de s’émanciper. Retour sur ce pilier de la culture tricolore.

     

    Aux portes de Paris, en 1924, trois ingénieurs passionnés de moto s’associent pour fonder Motobécane. Abel Bardin, Charles Benoît et Jules Benezech conçoivent dans leur petit atelier de Pantin la MB1, forte d’une cylindrée de 175 cm3. La presse, convoquée pour les essais, est dithyrambique et cette première mouture rencontre un franc succès. Suivront les MB2 et MB3, qui bénéficieront des dernières innovations des trois compères durant les années 1930. Après guerre, la France, en pleine reconstruction, manque de bras pour ses usines. Problème, le pays est encore très rural et les routes trop dangereuses pour enfourcher une bicyclette en pleine nuit.

    En 1949, Éric Jaulmes, ingénieur chez Motobécane, suggère de greffer un petit moteur sur un vélo. Sur le cadre du BNX, un modèle maison, on installe donc un bloc de 49,9 cm3. La première Mobylette est née. Rudimentaire, dépourvue d’embrayage, elle cale à chaque arrêt. Et même si, une fois en température, elle redémarre d’un coup de reins, l’engin nécessite quelques améliorations qui seront ajoutées les années suivantes. Embrayage donc, mais aussi un plus gros réservoir, un début de carrosserie, etc. Le succès est tel que les locaux de Pantin se révèlent rapidement trop petits. En 1951, une usine de tissage en perte de vitesse à Saint-Quentin, dans l’Aisne, est alors reprise et transformée en atelier de production. Avec plus de 300 Mobylette produites par mois désormais, l’usine monte en puissance et devient l’un des premiers employeurs de la région. Les États-Unis ont eu leur Ford T, la France aura sa Mobylette.

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  • Exposition Chaumet : les bijoux de Joséphine de Beauharnais, impératrice de France

    Une superbe exposition que je recommande chaudement. Un moment hors du temps avec plusieurs points forts : une ode à l'amour de Joséphine et de #Napoléon ; un pan d'histoire de France, de la grande histoire, pas de celle médiatisée au quotidien et qui nous éloigne trop souvent de ce qui fît (fait ?) de nous un grand peuple pour la France, l'Europe et le Monde. Et enfin, pour ne pas dire surtout, de magnifiques pièces de joaillerie, qui nous rappelle que le diamant est la pierre de l'Amour et du Pouvoir, sinon du Pouvoir de l'Amour. CHAUMET #france #europe #Napoleon #JosephinedeBeauharnais #bijoux #joaillerie #luxe #placeVendôme 

  • [#Promiseconsulting#luxurylab] How Luxury Shopping Habits Will Change Forever Because Of #COVID-19

     
    With Neiman Marcus reportedly teetering on bankruptcy, surging unemployment figures and mandated store closures across the country, recent retail headlines have painted a gloomy future for the industry. The indulgent, nonessential nature of luxury retail, at first glance, should place the sector in even hotter water. 

    But from vintage Hermes bags to sweatsuits that cost upwards of $1,250, luxury e-tailer Moda Operandi says its current bestsellers are proof that the luxury shopper is a different animal, even during the COVID-19 crisis. The Moda Operandi report found that amid all the uncertainty, the luxury shopper is still on the hunt, particularly for high-value timeless products.

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  • #Promiseconsulting #Luxurylab: La crise sanitaire conduit le système de la mode à se réinventer. Premier épisode : ce qu'en pensent les PDG de Chanel, Vuitton, Patou et Saint Laurent.

    Publié le 2 Mai 2020 par Sylvia JORIF du magazine Le point

    C'est peut-être un détail pour vous, mais pour la mode ça veut dire beaucoup : dans cette étrange atmosphère en suspens, la maison Saint Laurent a subitement excité les débats le 27 avril 2020 avec cette annonce : « Conscient de la conjoncture actuelle et des changements radicaux qu'elle induit, Saint Laurent prend la décision de repenser son approche au temps et d'instaurer son propre calendrier. Aujourd'hui plus que jamais, la marque contrôlera sa périodicité et légitimera la valeur du temps, à son rythme, tout en privilégiant le rapport aux personnes et à leur quotidien. De ce fait, Saint Laurent ne présentera pas ses collections dans le cadre des calendriers officiels de l'année 2020. Saint Laurent décidera de son agenda et ses lancements suivront un plan optimisé et guidé par les besoins de la créativité. »