Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • [#Marque #France] - Constat et propositions pour passer du mythe à la réalité

    Philippe JOURDAN, professeur des universités, CEO Promise Consulting Inc

    Jean-Claude PACITTO, maître de conférences, expert Promise Consulting Inc

     

    identité, nationale, france, nationalFace à l'accroissement de notre déficit du commerce extérieur et plus largement pour relancer la consommation, les pouvoirs publics ont mis en place une mission "marque France"[1] dont l'un des objectifs est d'affirmer la primauté de la marque-pays (et ce faisant de tous les produits made in France). Il s'agit, on s'en doute, d'inciter à acheter des produits français tant les étrangers que nos propres concitoyens. Outre la difficulté que pose la définition du made in France dans une économie mondialisée, cette démarche se heurte à un autre enjeu : le simple appel au "patriotisme" économique se révélant inopérant, sur quelles valeurs positionner la marque France et les produits qui en découlent auprès de nos concitoyens ? Notre propos est ici de montrer que cette démarche peut se servir utilement d’un outil éprouvé de positionnement de la marque (le prisme d’identité), sous réserve d’éviter certains écueils.

     

    LA MARQUE FRANCE, UN DEFI POUR LE COMMERCE INTERIEUR

    rafale,france, arme, aviation,marketingLa mission a défini trois valeurs fondamentales constitutives de la marque France, à savoir la passion, comme amour des gestes et des savoir-faire, la vision, reflet du désir de donner du sens, la création, née de l'effet de surprise. A la lecture, le degré d'abstraction de ces valeurs, voire leur caractère conceptuel et quelque peu élitiste, laisse entrevoir une difficulté bien réelle : comment positionner une marque France et ses produits auprès de nos concitoyens avec de telles valeurs ? Nous parlons ici de produits grand public qui participent tout autant d'une position de marché forte (et font et défont un bilan du commerce extérieur), au-delà donc des seuls éternels porte-étendards de la French touch comme le luxe par exemple ou les grands fleurons industriels (le TGV, Airbus, Areva, etc.). Car, s'il est utile de vendre la marque France à l'étranger, il l'est plus encore d'en affirmer sa primauté sur son propre marché dans des secteurs aussi divers que l'alimentaire, l'automobile, l’électroménager etc.

    On se rend alors compte que ces valeurs fondamentales relèvent davantage d'axes de communication et qu'elles ciblent prioritairement un public "élitiste" sur des marchés d'exportation. Or, ce qui peut aider à la promotion du TGV, de l'A380, de nos centrales EPR  ou de nos métiers d'art est-il suffisant pour convaincre nos concitoyens d'acheter français ? En résumé, tout semble se passer comme si les axes de communication (le message) avaient été définis alors même que le positionnement de la marque (le sens) n'a pas été clairement établi.

     

    QUELLES VALEURS PARTAGEES POUR LA MARQUE FRANCE ?

    marque france, france, marqueQuel positionnement pour la marque ? En d'autres termes, dans quelle catégorie mentale souhaite-t-on inclure la marque France pour la différencier fortement de celles des pays concurrents ? Pour faire simple, sur quelles valeurs partagées et comprises de tous, le patriotisme économique français peut-il s'affirmer ? Les Allemands, on le sait, jouent sur la qualité (Audi), les Italiens sur le style qu'ils sont capables de conférer à des produits de consommation courante (Alessi), les nordiques sur le design et la sobriété fonctionnelle (Ikea), les américains sur l'innovation numérique (Google, Apple, etc.). On voit bien ici l'empreinte de la culture, de l'héritage, du patrimoine, qui fait au fond la cohérence reconnue (et partant[JF1]  la valeur ajouté) du positionnement de chaque marque nationale. Serions-nous un "mix" de chacune ?

     

    REJETER LES VALEURS FANTASMEES

    innovation, marque, marketing, franceEn préambule, il convient de rejeter des valeurs projetées voire fantasmées, car – et c’est là un point essentiel – la marque France doit être crédible. Le transgressif ("nous créons des choses inattendues", "nous faisons l'événement") mis en avant par la mission France est certainement en phase avec les attentes des populations urbanisées et aisées de notre pays, mais qu'en est-il pour les autres catégories sociales ? Enfin, notre transgression est souvent très relative et relève le plus souvent de la posture du "mutin de Panurge » si bien décrite par Philippe Muray : une rébellion souvent factice, loin des véritables stratégies de rupture créatrices de valeur nouvelle. Notre propos n'est pas de dénaturer le travail de la mission "marque France", il est de le contraster avec une réalité quotidienne d'autant plus tenace qu'on le sait bien les faits sont souvent têtus. Or, s'il y a indéniablement une fibre innovatrice dans notre pays (mélange de passion, de vision et de création), elle est aussi contrebalancée au quotidien par le conformisme, la bureaucratie et le corporatisme. La France, c'est aussi cela pour nombre de nos concitoyens.

     

    FAIRE LE CHOIX ASSUME DU PRIX ET DE LA QUALITE

    qualité, iso, marketing, marquePositionner la marque France, c'est d'abord faire le choix assumé de la qualité. Nos constructeurs automobiles l'ont bien compris lorsqu’ils se sont engagés, il y a quelques années, dans une démarche de qualité totale dont ils recueillent aujourd'hui les bénéfices. Si nos constructeurs semblent ces derniers temps retrouver des couleurs, c'est d'abord parce que leur offre est désormais adaptée aux demandes du marché et cela a donc peu à voir avec le seul réflexe patriotique d'achat. Un patriotisme économique se construit avant tout en affirmant la supériorité du positionnement de ses propres produits. En matière de services, la qualité passe par une posture d'accueil, d'écoute, de réponse adaptée et courtoise. La simple création de labels (Qualité Tourisme, Savoir Plaire) ne suffit pas et les métiers du tourisme le savent bien[2]. Or, le choix de la qualité est une condition nécessaire, mais non suffisante. Car le positionnement d'une marque nationale recoupe inévitablement une réflexion sur l'identité. Un positionnement renvoie nécessairement à des valeurs partagées, à une identité assumée, d'un "prisme d'identité" pour reprendre la terminologie propre à Jean-Noël Kapferer. C'est là également le sens de la réflexion d'Adeline Challon-Kemoun, directrice de la communication d'Air France, lorsqu'elle déclare : "quand on réfléchit sur la marque Air France, on s'interroge sur la francité, sur les valeurs que l'on veut endosser et comment les exprimer[3]... ". Si on reste sur le cas Air France, il n'est pas sûr par exemple que la passion, la vision et la création s'y appliquent toujours... ou que l'on puisse leur donner un caractère concret, en phase avec l'expérience d'achat et d'usage du service aérien du transporteur au quotidien, alors qu'Easy Jet est synonyme d'un service essentiel ("come on, let's fly!") à un coût optimisé, une vision pragmatique du transport aérien bien en phase avec les qualités reconnues de nos voisins britanniques.

    Ces deux exemples montrent également que la marque France doit s’inscrire dans un positionnement prix compétitif. Les Français sont attachés à leur compagnie nationale, la classant au premier rang de leurs compagnies « idéales » (Promise / Panel On The Web, juillet 2014)… mais sont de plus en plus nombreux à voyager sur des compagnies low-cost ! La logique du prix gagne du terrain dans de nombreux secteurs. Ce constat est naturellement amplifié par la crise du pouvoir d’achat, mais il participe d’une redéfinition plus durable du contrat de marque : le consommateur averti s’attache aux bénéfices essentiels refusant d’endosser une survaleur « artificielle », qualifiée dédaigneusement de « marketing ».

     

    POSITIONNER UNE MARQUE, C’EST FATALEMENT REFLECHIR A SON IDENTITE

    france, territoire, identitéAu-delà de la qualité et du prix, il s'agit de donner du sens à la marque, c'est-à-dire de déterminer un ensemble de représentations consensuelles pour son public que l'on regroupe habituellement en trois classes, les représentations fonctionnelles, expérientielles et émotionnelles. Ainsi Ruinart, la plus ancienne marque de Champagne, est un Champagne équilibré entre valeurs féminines et masculines, bien distribué mais relativement discret. Il n'est pas étonnant qu'un récent baromètre (Promise Consulting Inc, octobre 2014) l'ait classé en tête des marques aspirationnelles de Champagne selon les Français. Nous sommes bien sur un produit élitiste et pourtant les valeurs décrites ici ont un caractère concret que chacun peut s'approprier.

    S'identifier à une marque, c'est d'abord en partager l'identité pour transposer dans le domaine du marketing le raisonnement de Muriel Surdez et alii à propos des identités politiques[4]. Il n'est donc pas étonnant que le prisme d'identité de la marque soit encore aujourd'hui l'outil d'analyse le plus utilisé pour définir les valeurs d'une marque. Deux dimensions du prisme nous interpellent plus précisément. En premier, le reflet de la marque, à savoir l'image que le public se fait de l'acheteur de la marque (Rolex associée à la réussite professionnelle). En second, la mentalisation de la marque, c'est-à-dire l'image que l'acheteur d'une marque se fait de lui-même. De la sorte l'acheteur d'une Dacia se considère un automobiliste malin et intelligent, qui privilégie le "juste essentiel". Reflet et mentalisation renvoient inévitablement à la notion « d’identité nationale », c’est-à-dire à une communauté de valeurs identitaire sur lesquelles nos concitoyens sont prêts à s’accorder. Notre propos n’est pas de les définir mais de proposer un cadre de raisonnement qui permette d’éviter certains écueils.

    Car si on souhaite aller plus loin, on se rend vite compte que le débat sur la définition de la marque France est inséparable de celui sur l'identité de la France. Nous sommes donc nécessairement ramenés à l’interrogation première : comment les Français perçoivent-ils leurs produits et à quelle identité souhaitent-ils que ceux-ci les renvoient ? Les réponses à ces questions sont difficiles à apporter car les Français ont du mal à définir ce socle de valeurs qui leur seraient communes, alors que les valeurs individuelles semblent l’emporter sur le destin collectif[5]. L’attachement aux Droits de l’homme, à la dignité de l’être humain et à la justice sociale ne saurait suffire car il n’est aujourd’hui nullement différenciateur en Europe de l’Ouest.

     

    S’ANCRER DANS LA REALITE QUOTIDIENNE POUR RESTER CREDIBLE


    réalité, marque, france, marque-francePlusieurs pistes méritent toutefois d’être explorées. En premier lieu, se mettre au niveau du consommateur, ancrer la démarche dans le quotidien de la vie de nos concitoyens et la faire porter sur des produits courants (l’alimentation, l’énergie, les transports, le tourisme, l’habillement, le multimédia, etc.). En second lieu, mettre en avant les territoires pour revaloriser les savoir-faire ancestraux dans le domaine de l’artisanat, les méthodes traditionnelles d’élevage et de production dans le domaine alimentaire ou les métiers dans le domaine du luxe. Or, on se heurte ici à deux difficultés. Le premier obstacle est d’ordre institutionnel : le centralisme des pouvoirs et des décisions en France s’oppose à l’émergence d’identités territoriales fortes (comme dans les cas allemand et américain). Le second tient à la mondialisation des circuits de production et de commercialisation qui entraîne de facto une dilution de l’identité nationale (et de surcroît locale) d’un produit : la conception, la fourniture de la matière première, la sous-traitance des composants, le montage des sous-ensembles, la distribution du produit fini sont assurés dans des pays différents… que signifie, dès lors, le Made In ?

     

    PROMOUVOIR LES TALENTS PLUTOT QUE LES ORIGINES

    google, indien, sundar pichaiUne façon de contourner l’obstacle pourrait être la promotion de l’identité nationale des talents et non plus des marques ou des produits. Ainsi Google, Facebook, Microsoft, Apple ne sont plus aujourd’hui, sinon juridiquement, des entreprises américaines mais bien des multinationales. Or, si elles sont pour le consommateur des marques américaines, c’est  en raison de la citoyenneté américaine de leurs fondateurs. De même, Chanel est aujourd’hui considérée comme une marque française en raison de la « francité » de Coco Chanel. Communiquer sur ses talents permet aux USA de disposer d’un puissant facteur de cohésion nationale (le mythe du pionnier), de véhiculer une image positive à l’étranger (un territoire riche d’opportunités), et donc d’attirer les talents du monde entier. Nous voyons dans cette démarche un autre avantage pour la France : la promotion des talents permettrait de s’affranchir du caractère parfois réducteur prêté au discours sur l’identité nationale, en permettant précisément de dépasser le débat sur les origines ethniques, géographiques ou nationales des individus pour s’intéresser aux attributs partagés d’un destin collectif. L’une des caractéristiques de la marque France pourrait précisément être sa capacité à dépasser ces clivages, en faisant la promotion des talents, des créateurs, des entrepreneurs dans le respect de leur diversité.

     

    Pour conclure, il ne s’agit pas d’abonder dans le sens d’un discours décliniste, mais de partir du réel et de ne pas occulter ce qui dérange. S’agissant de la marque France, c’est en partant de la réalité (la qualité, le prix, les territoires, les talents, etc.) que l’on sera le mieux à même de réfléchir à des solutions pérennes. La marque France n’est pas qu’une affaire de communication, et parce qu’elle doit être avant tout la traduction dans le domaine économique d’un destin collectif, sa construction suppose de partir d’une vaste consultation de ses publics (institutionnels ou particuliers, publics ou privés, étrangers ou nationaux) pour mieux en comprendre les attentes. Dans un contexte marqué par la mondialisation des échanges et une crise durable de la consommation, la qualité et le prix sont des prérequis incontournables. Ils ne sont pour autant plus différenciateurs. Une stratégie de marque est une chose sérieuse : si la marque doit faire rêver, elle doit aussi être crédible et réaliste pour être adoptée, sous peine de n’être qu’un exercice de style !

     

     

     



    [1] http://www.marque.france.fr/ pour plus d'information sur le sujet et les travaux de la commission.

    [2] En 2012, selon un sondage révélé par le magazine Forbes, la France a été classée comme le pays le plus "désagréable" envers les touristes.

    [3] Le Figaro, 27.03.2014

    [4]    Muriel Surdez et alii. Identifier-S'identifier, éditions Antipodes, 2010, 424 p.

    [5]    Selon une étude sur les Valeurs des Français en 2014 (baromètre TNS), le Français est défini par les termes "Moi", "Beau" 
    et "Méchant", sic.

     

  • [#RFM-#ADETEM]- En avant-première l'éditorial du numéro 253 de Septembre 2015

    EDITORIAL REVUE FRANCAISE DU MARKETING N°253

     

    Paris, le 08 septembre 2015.

     Télécharger le document : 201500911_Sommaire_n°253_V3.0_PJO.pdf

    adetem, rfm, marketing, recherche, academiqueEn cette rentrée de Septembre 2015, l’agitation des marchés financiers reflète le désarroi des analystes financiers inquiets de la dette publique des états européens du ralentissement de la croissance en Chine et de l'entrée en récession de certains pays émergents. Ces maux, pour partie structurels et pour partie conjoncturels, soulignent – s’il en était besoin – qu’une consommation soutenue dans un climat de confiance restauré et d’endettement maîtrisé est plus que jamais nécessaire. Un marketing responsable peut-il contribuer au retour des équilibres nécessaires ? Nous en avons la conviction, peut-être un peu naïve et optimiste. Un optimisme que semblent partager nos auteurs dont la diversité des centre d’intérêt et la force des convictions témoignent du dynamisme de la recherche en marketing.

     

    design, internet, esthétique, web, ergonomie, siteL’heure est à l’optimisation fine des sites Internet, vecteurs de communication, d’image, mais de plus en plus supports des transactions marchandes. On comprendra, au vu des enjeux, l’accent mis sur la perception de l’esthétique des sites Internet et sur l’optimisation de tous les éléments d’un site (menus, navigation, contenus, transactions, sécurisations, etc.). Mais l'optimisation passe par la mesure et, dans ce domaine, il est toujours difficile de cerner ce qui fait qu’un site marche ou ne marche pas. Le nombre de connections est certes un révélateur mais suffit-il à comprendre les raisons de la piètre performance d'un site ? L'esthétique est assurément un élément de différenciation, donc de performance supérieure à terme. Sébastien Mayé, professeur de marketing à l’ESCGI Paris, dans l’article « Perception de l’esthétique des sites Internet : apports de l’échelle Webesthetic » propose justement un outil de mesure de l'esthétique d'un site internet. Outil de mesure qui permet, dès lors, des améliorations opérationnelles et une utilisation immédiate par les webdesigners. A la suite de leur démarche, l’auteur conclut que « selon les résultats de cette recherche, une page internet est perçue globalement suivant sa beauté, sa simplicité et son classicisme. Elle est perçue analytiquement suivant son harmonie, sa pauvreté et sa sobriété... ». Un des nombreux apports de cet article est aussi de révéler la différence de structuration entre la perception holistique et la perception analytique, fondamentale dans l'évaluation d'un site internet. Pour l’auteur, en effet, la différence entre les deux perceptions réside dans le fait que les items composant l’échelle « holistique » sont conceptuels et globaux alors que ceux formant l’échelle « analytique » correspondent à des éléments structurels. Bien sûr les deux échelles, comme le précise l’auteur, sont corrélées. Pour tous ceux qui cherchent à mesurer l'esthétique de leur site, la première échelle leur permettra de donner une réponse rapide quant à l'évaluation de l'élégance, de la simplicité ou du classicisme du site et la seconde de dire pourquoi, du fait qu'elle décompose la page en plusieurs éléments. On comprend l'utilité d’une double démarche car évaluer est toujours utile, mais comprendre les raisons qui font qu'un site est bien ou mal évalué est encore plus utile. Les deux approches déboucheront assurément sur des améliorations opérationnelles efficaces par le diagnostic qu'elles permettent d'apporter. Trop souvent, les sites sont utilisés dans une perspective de suivisme sur le mode « il faut avoir un site » ou bien encore il faut un site « dessiné à la façon de… ». Eu égard à l'importance des sites internet pour les entreprises et leur stratégie, il est indispensable de mesurer les éléments qui fondent leur succès ou leur échec et, pour cela, il faut des outils. La construction de cette échelle montre bien que théorie et pratique sont indissociables et que chercher la performance opérationnelle sans réfléchir en amont sur ses déterminants est pure fiction.

     

    trafic, internet, marketing, siteLa concurrence est de plus en plus acharnée entre les sites marchands et, dans ce contexte, la captation du trafic sur la toile demeure un enjeu majeur. En 2013, 138 000 sites web marchands étaient actifs en France et ont engendré 5,1 milliards d'euros de ventes de produits et services en lignes. La concurrence est féroce puisqu'il existe sur la toile près de 250 millions de sites marchands ! Améliorer la performance d'un site internet coûte cher et les investissements consacrés au développement du trafic peuvent s'élever à plus de 10% du chiffre d'affaires. Ces éléments de cadrage étant rappelés, Pierre Volle (professeur à Paris-Dauphine), Henri Isaac (maitre de conférences à Paris Dauphine) et Ahmed Anis Charfi (Enseignant-chercheur à l’European Business School Paris), auteurs de l’article « Création de trafic sur les sites Web marchands : enjeux et arbitrages entre visibilité et réputation », soulignent fort à  propos que le développement du trafic suppose que les enseignes ou les marques jouent d’une part sur leur visibilité et d’autre part sur leur réputation, qui « constituent les deux principaux leviers pour créer du trafic ». Proposant une typologie des processus de visite sur Internet (expérientielle, expéditive, exploratoire et évaluative), les auteurs en fonction des enjeux qui leur sont associés apportent des informations intéressantes sur la manière de procéder pour accroître son trafic. L’un des mérites de cet article est de nous proposer une méthodologie d'allocation des budgets marketing entre les différents leviers de création de trafic. Les professionnels, mais pas seulement eux, y trouveront des informations importantes facilement appropriables. Pour ceux qui auraient des doutes sur quel levier agir en premier les auteurs apportent une réponse : la réputation doit précéder la visibilité en ajoutant « cependant les deux enjeux sont clairement liés, dans la mesure où un site dont la réputation est nulle, aura des difficultés à transformer sa visibilité en trafic ». Encore une autre confirmation que l'optimisation opérationnelle dépend largement d'une réflexion en amont et que celle-ci ne peut faire l'économie d'une mobilisation des savoirs issus de la théorie.

     

    terroir, campagne, fromageQuittons quelques instants le monde du virtuel pour nous ancrer dans celui du terroir. Le terroir, ces dernières années, est tendance. Il est même un des éléments constitutifs du made in France. Mais l'origine d'un produit, sa qualité ou le savoir-faire qu'il révèle, donc des attributs de nature plutôt cognitive, suffisent-ils à une promotion efficace des produits du terroir ? François Lenglet et Dominique Kreziak, tous deux maîtres de conférences à l’université de Savoie, sont les auteurs d’un article consacré à la valorisation des produits du terroir et intitulé « L'agrément du lieu d'origine fait-il vendre ? La contribution des aménités à la valorisation des produits de terroir ». Les auteurs, sans remettre en cause le recours aux attributs cognitifs, suggèrent que l'on aurait intérêt à prendre davantage en compte la dimension affective des produits du terroir et mobilisent pour ce faire le concept d'aménités environnementales, aménités qui reflètent l'agrément du lieu d'origine. Mais cette prise en compte passe inéluctablement par la mesure, objet précisément de leurs travaux, une mesure appliquée à deux fromages produits dans deux massifs savoyards proches mais pourtant différents, la tome de Montagne et la tome des Bauges. Au cours de leur recherche, les auteurs ont remarqué que les axes de positionnement des produits du terroir se révèlent peu diversifiés et que ces positionnements sont essentiellement basés sur la dimension humaine de l'image régionale. Nécessaire mais pas suffisant. L'introduction des aménités et leur complémentarité avec les attributs humains pourraient fournir « un avantage distinctif fort en dépassant les pratiques classiques du positionnement ». Autre avantage des aménités, c'est qu'elles sont stables par rapport aux critères sociodémographiques et qu'elles peuvent dès lors être utilisées comme des critères de segmentation en vue d’affiner le mix marketing de l’offre. Plus généralement concluent les auteurs « la compréhension des interactions entre les composantes de l'image d'un terroir (facteur humain et naturel, affectif et cognitif) et de leurs effets combinés sur l'évaluation du produit et le comportement du consommateur constitue une perspective de recherche particulièrement stimulante ».

     

    innovante.jpgLes deux derniers articles que nous avons retenus élargissent les champs d’application de la marque comme attribut de l’offre. Le premier, intitulé « La marque ou une mention innovante permet-elle de compenser l’impossibilité de toucher le produit par les consommateurs ? » nous est proposé par un collectif d’auteurs issus d’institutions pluridisciplinaires, Josselin Masson (MCF Université de Haute Alsace), Vesselina Tossan (MCF CNAM), Dominique Adolphe et Laurence Schacher (professeurs ENSISA) et Wedian Abbas (doctorante, ENSISA). L’article aborde un sujet d’actualité. A l’heure où les ventes à distance se multiplient et concernent un grand nombre de catégories de produits, les consommateurs sont de facto empêchés de « toucher » les produits. Dès lors, quelle autre information extrinsèque peut remplacer la perception sensorielle du toucher, en particulier dans un univers comme le textile ? Cette question – au départ une interrogation émise par un professionnel du secteur – est le point de départ de la recherche menée par les auteurs qui s’interrogent pour savoir si la marque ou toute autre mention innovante sont de nature à compenser la « frustration » qu’entraîne l’absence de perception tactile du tissu d’un vêtement. Pour répondre à cette question, les auteurs recourent à un plan d’expérience original avec un facteur manipulé à trois modalités (vue seule, vue et toucher, vue et toucher assortis d’une information extrinsèque). Les répondants sont invités à évaluer un textile pour chemise de deux manières : une appréciation hédonique globale et une évaluation sur critères des principales propriétés des tissus. La conclusion est sans appel, comme le soulignent les auteurs : « les résultats de notre expérimentation montrent que les tissus sont mieux évalués lorsqu’ils sont vus avec l’indication d’une marque ou d’une mention innovante que lorsqu’ils sont vus sans aucune indication ». Certes, la conclusion s’applique également dans le cas de la mention d’une marque (Jules) que les auteurs classent en marque faible, ce qui est peut-être ici abusif et peut expliquer le résultat rapporté. Enfin, les résultats sont à nuancer en fonction du textile évalué mais demeurent cohérents avec les résultats d’autres recherches qui confirment que, paradoxalement, les informations non sensorielles ont un impact plus élevé que les informations sensorielles sur l’évaluation hédonique, ou qui portent sur la disconfirmation des attentes (il existe une attente a priori à ce qu’un tissu de bonne qualité soit produit par une marque de bonne qualité). Nul doute que les conclusions de la recherche sont de nature à conforter les industriels dans la nécessité de mettre en avant l’innovation ou l’image de marque lorsque le consommateur est matériellement empêché d’approcher le produit avant l’achat, en attendant que les technologies permettent de s’affranchir de cette contrainte en proposant d’autres formes d’expériences sensorielles même à distance.

     

    arena, allianz, munich, equipement, sportifLe dernier article de ce numéro de rentrée, « Le naming des équipements sportifs : un débat ouvert », a été rédigé par Marie-Josèphe Leroux-Sostenes, MCF, Kevin Raffegeau, de l’Université de Rouen, et Chantal Rouvrai-Charron (MCF), de l’Université de Caen. L’attribution à un équipement sportif de types stades ou arènes du nom d’une marque commerciale est une nouvelle forme de sponsoring classique qui consiste à apposer sa marque sur un athlète, une équipe ou un événement. On peut, dès lors, s’interroger sur l’opportunité d’ouvrir plus largement cette pratique, en particulier à des équipements sportifs collectifs gérés par les collectivités territoriales (stades, gymnases, piscines, etc.) à l’heure où ces dernières font face à la nécessité de diversifier leurs sources de financement. Les auteurs s’interrogent donc sur la capacité du nommage à répondre parfaitement aux intérêts des deux parties prenantes, la marque commerciale d’une part et la collectivité territoriale de l’autre, dans un contexte d’intérêts en partie divergents. A l’instar des activités culturelles, les missions sportives assumées par les collectivités territoriales se positionnent dans le champ du marketing social et non marchand, l’intérêt collectif l’emportant sur l’intérêt particulier (propre à l’entreprise). Dans un premier temps, les auteurs s’attachent à définir les limites du nommage, souvent assimilé à une forme de sponsoring, une démarche elle-même parfois confondue avec le partenariat, le mécénat ou les actions humanitaires, tant les frontières demeurent floues à l’aune des pratiques. Le sponsoring a principalement pour but d’élever la notoriété et l’image d’une marque en « profitant » de celle d’un événement ou d’une personnalité sponsorisée par un mécanisme de transfert assez classique, à la fois de nature cognitive ou affective. Le nommage propre aux installations collectives pose, lui, un problème spécifique : celui de la responsabilité éthique des deux parties, de nature à s’estomper lorsque la marque est un acteur engagé localement tant sur le plan économique que sur le plan social. Le nommage peut donc s’apparenter à ce que les auteurs dénomment un acte de « sponsoring citoyen » dans la reconnaissance de la vocation sociale des équipements ainsi nommés : « être ouverts à tous grâce à des tarifs adaptés ». Les réactions négatives du public forment un risque non négligeable toutefois, s’agissant de l’objectif de notoriété et de réputation visé par l’entreprise, au même titre que le caractère peu prévisible des résultats sportifs atteints par le club hébergé par la structure, dans le cas d’une enceinte sportive par exemple. Une enquête qualitative auprès de directeurs de centres aquatiques permet d’explorer plus en profondeur le sujet du nommage et les réticences des responsables eux-mêmes qui mettent en avant le risque d’atteinte aux missions de service public, mieux garanties, selon eux, par un financement entièrement public. Pour autant, la majorité s’attache à reconnaître les opportunités qui pourraient se dégager pour les deux parties sous réserve d’un cadre juridique ou contractuel mieux défini (soirées ou événements sportifs sponsorisés dans les enceintes à l’instar de ce que propose la marque Red Bull). Le débat est donc ici relancé.

     

    Enfin, nous inaugurons dans ce numéro notre partenariat avec la Cambridge Marketing Review en publiant dans notre rubrique Points de Vue un article de David Remaud intitulé « A view from France-attitudes ». De la même façon, un article de la Revue Française du Marketing sera publié par la Cambridge Marketing Review dans chacun de ses numéros et traduit en anglais.

     

    Nous vous souhaitons une très bonne rentrée et nous espérons que vous prendrez autant de plaisir à la lecture de ce numéro que celui que nous avons pris à le composer pour vous. Vous souhaitez nous en dire plus, réagir, apporter votre point de vue, rebondir sur un article ? N’hésitez pas à prendre contact avec nous.

     
    Philippe Jourdan (philippe.jourdan@u-pec.fr), rédacteur en chef
    Jean-Claude Pacitto (pacitto@u-pec.fr), rédacteur en chef adjoint