EDITORIAL REVUE FRANCAISE DU MARKETING N°253
Paris, le 08 septembre 2015.
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En cette rentrée de Septembre 2015, l’agitation des marchés financiers reflète le désarroi des analystes financiers inquiets de la dette publique des états européens du ralentissement de la croissance en Chine et de l'entrée en récession de certains pays émergents. Ces maux, pour partie structurels et pour partie conjoncturels, soulignent – s’il en était besoin – qu’une consommation soutenue dans un climat de confiance restauré et d’endettement maîtrisé est plus que jamais nécessaire. Un marketing responsable peut-il contribuer au retour des équilibres nécessaires ? Nous en avons la conviction, peut-être un peu naïve et optimiste. Un optimisme que semblent partager nos auteurs dont la diversité des centre d’intérêt et la force des convictions témoignent du dynamisme de la recherche en marketing.
L’heure est à l’optimisation fine des sites Internet, vecteurs de communication, d’image, mais de plus en plus supports des transactions marchandes. On comprendra, au vu des enjeux, l’accent mis sur la perception de l’esthétique des sites Internet et sur l’optimisation de tous les éléments d’un site (menus, navigation, contenus, transactions, sécurisations, etc.). Mais l'optimisation passe par la mesure et, dans ce domaine, il est toujours difficile de cerner ce qui fait qu’un site marche ou ne marche pas. Le nombre de connections est certes un révélateur mais suffit-il à comprendre les raisons de la piètre performance d'un site ? L'esthétique est assurément un élément de différenciation, donc de performance supérieure à terme. Sébastien Mayé, professeur de marketing à l’ESCGI Paris, dans l’article « Perception de l’esthétique des sites Internet : apports de l’échelle Webesthetic » propose justement un outil de mesure de l'esthétique d'un site internet. Outil de mesure qui permet, dès lors, des améliorations opérationnelles et une utilisation immédiate par les webdesigners. A la suite de leur démarche, l’auteur conclut que « selon les résultats de cette recherche, une page internet est perçue globalement suivant sa beauté, sa simplicité et son classicisme. Elle est perçue analytiquement suivant son harmonie, sa pauvreté et sa sobriété... ». Un des nombreux apports de cet article est aussi de révéler la différence de structuration entre la perception holistique et la perception analytique, fondamentale dans l'évaluation d'un site internet. Pour l’auteur, en effet, la différence entre les deux perceptions réside dans le fait que les items composant l’échelle « holistique » sont conceptuels et globaux alors que ceux formant l’échelle « analytique » correspondent à des éléments structurels. Bien sûr les deux échelles, comme le précise l’auteur, sont corrélées. Pour tous ceux qui cherchent à mesurer l'esthétique de leur site, la première échelle leur permettra de donner une réponse rapide quant à l'évaluation de l'élégance, de la simplicité ou du classicisme du site et la seconde de dire pourquoi, du fait qu'elle décompose la page en plusieurs éléments. On comprend l'utilité d’une double démarche car évaluer est toujours utile, mais comprendre les raisons qui font qu'un site est bien ou mal évalué est encore plus utile. Les deux approches déboucheront assurément sur des améliorations opérationnelles efficaces par le diagnostic qu'elles permettent d'apporter. Trop souvent, les sites sont utilisés dans une perspective de suivisme sur le mode « il faut avoir un site » ou bien encore il faut un site « dessiné à la façon de… ». Eu égard à l'importance des sites internet pour les entreprises et leur stratégie, il est indispensable de mesurer les éléments qui fondent leur succès ou leur échec et, pour cela, il faut des outils. La construction de cette échelle montre bien que théorie et pratique sont indissociables et que chercher la performance opérationnelle sans réfléchir en amont sur ses déterminants est pure fiction.
La concurrence est de plus en plus acharnée entre les sites marchands et, dans ce contexte, la captation du trafic sur la toile demeure un enjeu majeur. En 2013, 138 000 sites web marchands étaient actifs en France et ont engendré 5,1 milliards d'euros de ventes de produits et services en lignes. La concurrence est féroce puisqu'il existe sur la toile près de 250 millions de sites marchands ! Améliorer la performance d'un site internet coûte cher et les investissements consacrés au développement du trafic peuvent s'élever à plus de 10% du chiffre d'affaires. Ces éléments de cadrage étant rappelés, Pierre Volle (professeur à Paris-Dauphine), Henri Isaac (maitre de conférences à Paris Dauphine) et Ahmed Anis Charfi (Enseignant-chercheur à l’European Business School Paris), auteurs de l’article « Création de trafic sur les sites Web marchands : enjeux et arbitrages entre visibilité et réputation », soulignent fort à propos que le développement du trafic suppose que les enseignes ou les marques jouent d’une part sur leur visibilité et d’autre part sur leur réputation, qui « constituent les deux principaux leviers pour créer du trafic ». Proposant une typologie des processus de visite sur Internet (expérientielle, expéditive, exploratoire et évaluative), les auteurs en fonction des enjeux qui leur sont associés apportent des informations intéressantes sur la manière de procéder pour accroître son trafic. L’un des mérites de cet article est de nous proposer une méthodologie d'allocation des budgets marketing entre les différents leviers de création de trafic. Les professionnels, mais pas seulement eux, y trouveront des informations importantes facilement appropriables. Pour ceux qui auraient des doutes sur quel levier agir en premier les auteurs apportent une réponse : la réputation doit précéder la visibilité en ajoutant « cependant les deux enjeux sont clairement liés, dans la mesure où un site dont la réputation est nulle, aura des difficultés à transformer sa visibilité en trafic ». Encore une autre confirmation que l'optimisation opérationnelle dépend largement d'une réflexion en amont et que celle-ci ne peut faire l'économie d'une mobilisation des savoirs issus de la théorie.
Quittons quelques instants le monde du virtuel pour nous ancrer dans celui du terroir. Le terroir, ces dernières années, est tendance. Il est même un des éléments constitutifs du made in France. Mais l'origine d'un produit, sa qualité ou le savoir-faire qu'il révèle, donc des attributs de nature plutôt cognitive, suffisent-ils à une promotion efficace des produits du terroir ? François Lenglet et Dominique Kreziak, tous deux maîtres de conférences à l’université de Savoie, sont les auteurs d’un article consacré à la valorisation des produits du terroir et intitulé « L'agrément du lieu d'origine fait-il vendre ? La contribution des aménités à la valorisation des produits de terroir ». Les auteurs, sans remettre en cause le recours aux attributs cognitifs, suggèrent que l'on aurait intérêt à prendre davantage en compte la dimension affective des produits du terroir et mobilisent pour ce faire le concept d'aménités environnementales, aménités qui reflètent l'agrément du lieu d'origine. Mais cette prise en compte passe inéluctablement par la mesure, objet précisément de leurs travaux, une mesure appliquée à deux fromages produits dans deux massifs savoyards proches mais pourtant différents, la tome de Montagne et la tome des Bauges. Au cours de leur recherche, les auteurs ont remarqué que les axes de positionnement des produits du terroir se révèlent peu diversifiés et que ces positionnements sont essentiellement basés sur la dimension humaine de l'image régionale. Nécessaire mais pas suffisant. L'introduction des aménités et leur complémentarité avec les attributs humains pourraient fournir « un avantage distinctif fort en dépassant les pratiques classiques du positionnement ». Autre avantage des aménités, c'est qu'elles sont stables par rapport aux critères sociodémographiques et qu'elles peuvent dès lors être utilisées comme des critères de segmentation en vue d’affiner le mix marketing de l’offre. Plus généralement concluent les auteurs « la compréhension des interactions entre les composantes de l'image d'un terroir (facteur humain et naturel, affectif et cognitif) et de leurs effets combinés sur l'évaluation du produit et le comportement du consommateur constitue une perspective de recherche particulièrement stimulante ».
Les deux derniers articles que nous avons retenus élargissent les champs d’application de la marque comme attribut de l’offre. Le premier, intitulé « La marque ou une mention innovante permet-elle de compenser l’impossibilité de toucher le produit par les consommateurs ? » nous est proposé par un collectif d’auteurs issus d’institutions pluridisciplinaires, Josselin Masson (MCF Université de Haute Alsace), Vesselina Tossan (MCF CNAM), Dominique Adolphe et Laurence Schacher (professeurs ENSISA) et Wedian Abbas (doctorante, ENSISA). L’article aborde un sujet d’actualité. A l’heure où les ventes à distance se multiplient et concernent un grand nombre de catégories de produits, les consommateurs sont de facto empêchés de « toucher » les produits. Dès lors, quelle autre information extrinsèque peut remplacer la perception sensorielle du toucher, en particulier dans un univers comme le textile ? Cette question – au départ une interrogation émise par un professionnel du secteur – est le point de départ de la recherche menée par les auteurs qui s’interrogent pour savoir si la marque ou toute autre mention innovante sont de nature à compenser la « frustration » qu’entraîne l’absence de perception tactile du tissu d’un vêtement. Pour répondre à cette question, les auteurs recourent à un plan d’expérience original avec un facteur manipulé à trois modalités (vue seule, vue et toucher, vue et toucher assortis d’une information extrinsèque). Les répondants sont invités à évaluer un textile pour chemise de deux manières : une appréciation hédonique globale et une évaluation sur critères des principales propriétés des tissus. La conclusion est sans appel, comme le soulignent les auteurs : « les résultats de notre expérimentation montrent que les tissus sont mieux évalués lorsqu’ils sont vus avec l’indication d’une marque ou d’une mention innovante que lorsqu’ils sont vus sans aucune indication ». Certes, la conclusion s’applique également dans le cas de la mention d’une marque (Jules) que les auteurs classent en marque faible, ce qui est peut-être ici abusif et peut expliquer le résultat rapporté. Enfin, les résultats sont à nuancer en fonction du textile évalué mais demeurent cohérents avec les résultats d’autres recherches qui confirment que, paradoxalement, les informations non sensorielles ont un impact plus élevé que les informations sensorielles sur l’évaluation hédonique, ou qui portent sur la disconfirmation des attentes (il existe une attente a priori à ce qu’un tissu de bonne qualité soit produit par une marque de bonne qualité). Nul doute que les conclusions de la recherche sont de nature à conforter les industriels dans la nécessité de mettre en avant l’innovation ou l’image de marque lorsque le consommateur est matériellement empêché d’approcher le produit avant l’achat, en attendant que les technologies permettent de s’affranchir de cette contrainte en proposant d’autres formes d’expériences sensorielles même à distance.
Le dernier article de ce numéro de rentrée, « Le naming des équipements sportifs : un débat ouvert », a été rédigé par Marie-Josèphe Leroux-Sostenes, MCF, Kevin Raffegeau, de l’Université de Rouen, et Chantal Rouvrai-Charron (MCF), de l’Université de Caen. L’attribution à un équipement sportif de types stades ou arènes du nom d’une marque commerciale est une nouvelle forme de sponsoring classique qui consiste à apposer sa marque sur un athlète, une équipe ou un événement. On peut, dès lors, s’interroger sur l’opportunité d’ouvrir plus largement cette pratique, en particulier à des équipements sportifs collectifs gérés par les collectivités territoriales (stades, gymnases, piscines, etc.) à l’heure où ces dernières font face à la nécessité de diversifier leurs sources de financement. Les auteurs s’interrogent donc sur la capacité du nommage à répondre parfaitement aux intérêts des deux parties prenantes, la marque commerciale d’une part et la collectivité territoriale de l’autre, dans un contexte d’intérêts en partie divergents. A l’instar des activités culturelles, les missions sportives assumées par les collectivités territoriales se positionnent dans le champ du marketing social et non marchand, l’intérêt collectif l’emportant sur l’intérêt particulier (propre à l’entreprise). Dans un premier temps, les auteurs s’attachent à définir les limites du nommage, souvent assimilé à une forme de sponsoring, une démarche elle-même parfois confondue avec le partenariat, le mécénat ou les actions humanitaires, tant les frontières demeurent floues à l’aune des pratiques. Le sponsoring a principalement pour but d’élever la notoriété et l’image d’une marque en « profitant » de celle d’un événement ou d’une personnalité sponsorisée par un mécanisme de transfert assez classique, à la fois de nature cognitive ou affective. Le nommage propre aux installations collectives pose, lui, un problème spécifique : celui de la responsabilité éthique des deux parties, de nature à s’estomper lorsque la marque est un acteur engagé localement tant sur le plan économique que sur le plan social. Le nommage peut donc s’apparenter à ce que les auteurs dénomment un acte de « sponsoring citoyen » dans la reconnaissance de la vocation sociale des équipements ainsi nommés : « être ouverts à tous grâce à des tarifs adaptés ». Les réactions négatives du public forment un risque non négligeable toutefois, s’agissant de l’objectif de notoriété et de réputation visé par l’entreprise, au même titre que le caractère peu prévisible des résultats sportifs atteints par le club hébergé par la structure, dans le cas d’une enceinte sportive par exemple. Une enquête qualitative auprès de directeurs de centres aquatiques permet d’explorer plus en profondeur le sujet du nommage et les réticences des responsables eux-mêmes qui mettent en avant le risque d’atteinte aux missions de service public, mieux garanties, selon eux, par un financement entièrement public. Pour autant, la majorité s’attache à reconnaître les opportunités qui pourraient se dégager pour les deux parties sous réserve d’un cadre juridique ou contractuel mieux défini (soirées ou événements sportifs sponsorisés dans les enceintes à l’instar de ce que propose la marque Red Bull). Le débat est donc ici relancé.
Enfin, nous inaugurons dans ce numéro notre partenariat avec la Cambridge Marketing Review en publiant dans notre rubrique Points de Vue un article de David Remaud intitulé « A view from France-attitudes ». De la même façon, un article de la Revue Française du Marketing sera publié par la Cambridge Marketing Review dans chacun de ses numéros et traduit en anglais.
Nous vous souhaitons une très bonne rentrée et nous espérons que vous prendrez autant de plaisir à la lecture de ce numéro que celui que nous avons pris à le composer pour vous. Vous souhaitez nous en dire plus, réagir, apporter votre point de vue, rebondir sur un article ? N’hésitez pas à prendre contact avec nous.
Philippe Jourdan (philippe.jourdan@u-pec.fr), rédacteur en chefJean-Claude Pacitto (pacitto@u-pec.fr), rédacteur en chef adjoint