SOURCE : LE MONDE.FR - 02 JUILLET 2016
La mode est par définition éphémère. Les groupes de mode devraient-ils l'être aussi ? Si certains se fanent l'espace de quelques saisons, d'autres s'épanouissent dans la durée. Beaucoup sont des enfants de l'après-guerre, comme Zara ou H&M, d'autres puisent leurs racines carrément au début du siècle. L'ancêtre de Vivarte, le chausseur André, a ouvert sa première boutique parisienne en 1903, avec comme slogan " souliers de mode depuis 1900 ". Et déjà cette idée du choix le plus large et des prix bas qui fera les délices de la société de consommation du XXe siècle.
Depuis trois ans, Vivarte, l'un des premiers groupes de mode français, avec 17 000 employés, enchaîne les plans de restructuration, les fermetures de magasins et les cessions de marques. Jeudi 30 juin, il a annoncé la mise en vente de trois de ses noms les plus populaires, Kookaï, Chevignon et Pataugas. En début d'année, la Compagnie vosgienne de la chaussure et l'enseigne Défi Mode avaient suivi la même route. La société n'en finit pas de détricoter un ouvrage construit depuis sa diversification dans l'habillement en 1984, et qui a culminé au seuil de la crise de 2008. Les marques acquises consciencieusement racontent l'âge d'or des gloires du quartier parisien du Sentier. Caroll, Creeks, Liberto, Kookaï, Naf Naf, Chevignon. Vivarte est un enfant des années 1980… comme un parfum de jeans à la française et d'exubérance à l'américaine.
Mais les fans des années 1980 doivent se souvenir que cette période a aussi apporté aux entrepreneurs français la magie de la finance et de l'endettement facile. Le virage vers l'habillement de la star hexagonale de la chaussure familiale s'est produit dans les deux décennies 1990-2010 sur une montagne de dettes, notamment grâce à l'arrivée en France des fonds d'investissement et de leur technique du LBO. Une formule magique qui permet à des financiers de racheter une entreprise au moyen d'un recours massif à l'endettement, remboursé par la société achetée. La crise de 2008 a sifflé la fin de cette période glorieuse où dirigeants et actionnaires gagnaient à tous les coups.
A la fois trop petit et trop gros.
La baisse de la consommation et l'arrivée à maturité d'une nouvelle concurrence ont fragilisé les châteaux de cartes comme Vivarte. Soudain, le français est devenu bien fragile face à des mastodontes comme Zara ou H&M, des monuments d'organisation rationnelle et d'innovation qui ont pulvérisé les modèles anciens.
Face à ces " machines ", la collection de marques de Vivarte n'a pas pu opposer une agilité et une créativité qui font le succès de petits nouveaux venus, comme le français Sandro Maje, ou de stars de l'Internet, comme le britannique Asos. Coincé au milieu du sablier, à la fois trop petit et trop gros, sous la pression d'actionnaires d'autant plus impatients qu'ils sont ses anciens créanciers, Vivarte n'a pas d'autre choix que de maigrir ou de disparaître. Pas facile de redevenir à la mode.
Philippe Escande
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