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" La mode est une affaire de désir " - Interview de l'enfant terrible de la Mode [@marcjacobs #promiseconsulting #luxe #fashion ]

LE MONDE, 26 AVRIL 2016

"Nous n'aurions pas pu dire mieux : dans une interview sans tabou, abordant tous les sujets, commentant l'actualité la plus brûlante de la Mode et des Maisons de Couture, Marc Jacobs l'enfant terrible de la la Haute Couture et du Prêt-à-porter de luxe nous livre ici quelques-unes de ses vérités. Comme lui, nous pensons que le Luxe et la Création sont parfois peu compatibles avec l'accélération du temps qui amène certaines marques à faire coincider l'échéance de leurs Défilés et la mise en vente de leur pièces. Comme lui, nous pensons qu'une égérie virtuelle ne peut jouer le vrai rôle d'une amabassadrice de la marque et que probablement aucune héroïne de jeux vidéos n'incarnera avec autant de brio la femme Lancôme qu'Isabella Rosselini en son temps. Et comme lui enfin nous pensons que la Mode est une affaire de désir, tout comme l'Amour. A lire et à suivre donc." [Philippe Jourdan, CEO Promise Consulting]

Il fume cigarette sur cigarette entre deux gorgées de Coca Light, parle vite et clairement, toujours avec une lueur amusée dans le regard : Marc Jacobs, 53 ans, a le charme tranquille et imparfait de quelqu'un qui a traversé de drôles de vies. Voilà plus de trente ans qu'il explore le monde de la mode, de la rue new-yorkaise au luxe parisien. Renvoyé de chez Perry Ellis en  1992 pour avoir imposé le look grunge sur les podiums, il s'épanouit dans son rôle de sale gosse prodige de la mode américaine qui a lancé sa marque à 23 ans. En  1997, il prend la direction créative de Louis -Vuitton, y invente un prêt-à-porter cultivé et iconoclaste à son image et collabore avec les plus grands artistes (Sprouse, Kusama, et autres).

Mauvaises passes (plusieurs séjours en désintoxication), statut menacé par une jeune génération de designers américains, fin de contrat chez Louis Vuitton en  2013 (sa marque, qui porte son nom, -appartient encore pour 80  % au groupe LVMH) : Marc Jacobs résiste à tout. Et semble plus épanoui que jamais. Ses défilés new--yorkais sont des spectacles virtuoses uniques et très applaudis, il vient de lancer sa ligne beauté en Angleterre (seul pays où elle n'était pas distribuée) et ouvre la semaine prochaine une boutique parisienne (1). Avec un mélange de recul et d'assurance, le créateur s'emploie à jouir de son métier.

Vos créations sont très en rupture avec l'obsession commerciale du moment. Comment l'expliquez-vous ?

À mon avis, le prêt-à-porter et la couture ne sont rentables pour personne. C'est trop coûteux et cela touche trop peu de monde. Il y a trop de paramètres : les tailles, les formes, les couleurs, il fait froid ici, chaud là-bas, les Asiatiques veulent du coton, pas de la soie… Ce qui rapporte de l'argent, ce sont les parfums, les cosmétiques, les jeans, les tee-shirts, les accessoires, les sacs encore plus que les chaussures, car il n'y a pas de problème de taille. C'est accessible à tous. Pour moi, un défilé sert surtout à donner une certaine aura, un certain prestige à la marque… et donc à ses pendants " commerciaux ". Regardez ce que fait (très bien) Karl Lagerfeld chez Chanel.

L'industrie de la mode tente de synchroniser défilés et mise en vente des collections. Qu'en pensez-vous ?

Je comprends l'idée mais je pense que cela va créer d'autres problèmes. Cela vient du fait que les gens veulent tout de suite ce qu'ils ont vu sur Internet. Je suis pareil : j'ai repéré une veste Saint Laurent par Hedi Slimane et je promène sa photo dans toutes les boutiques ! Mais je ne vois pas comment concilier ce système avec une forme de créativité. Il est inutile de critiquer la vitesse de la vie, mais je ne suis pas sûr qu'il soit logique de s'adapter systématiquement à ces rythmes. C'est une des " beautés " de la mode : si j'ai très envie de quelque chose, je vais attendre six mois, même si je peux avoir tout de suite cent pièces qui ne m'intéressent pas. L'accessibilité immédiate n'a pas beaucoup de sens pour la mode, car c'est une affaire de désir, pas de besoin.

Internet bouleverse la mode, et vous êtes depuis longtemps un créateur 2.0…

Oui, j'ai été un des premiers à inviter des blogueurs à mes shows. Bryanboy commençait à être connu sur les réseaux sociaux ; j'ai décidé de donner son nom à un sac et puis on l'a invité au défilé. Tout est parti de là. Je sais que les blogueurs divisent mais il est impossible de généraliser. Certains ne comprennent pas en quoi leur avis compte. Tout le monde a une opinion aujourd'hui (il n'y a qu'à regarder les commentaires sur mon compte Instagram) et toutes sont valides. Mais vous n'êtes pas obligé d'y souscrire : si je n'aime pas le point de vue d'un critique, je ne lis pas ce qu'il écrit. Beaucoup de gens sont obsédés par les " stars Instagram " et leurs millions de followers. Mais en continuant à les " suivre " et à poster des commentaires – même négatifs –, ils nourrissent le monstre.

Virtuelles ou non, les célébrités ont envahi la mode. Est-ce un problème pour vous ?

J'ai longtemps hésité à faire défiler Lady Gaga, que je connais depuis ses débuts. Je ne voulais pas qu'elle éclipse la mode. Malheureusement, dans les médias, beaucoup n'ont parlé que de Lady Gaga… et pas de la collection. Si les journalistes veulent de vrais shows, ils devraient parler de mode. Il m'arrive, après avoir lu certaines critiques de défilés, de n'avoir aucune idée de ce à quoi ressemble la collection ! C'est une façon détournée de ne pas parler des vêtements. A une époque, les journalistes décrivaient aussi les vêtements qu'ils n'aimaient pas, ils avaient une connaissance de l'histoire de la mode, des références. Aujourd'hui, à cause de la pression des annonceurs, il devient difficile de donner son avis, c'est une forme de corruption. Mais c'est comme cela depuis toujours : ce sont les vainqueurs de la guerre qui écrivent l'histoire.

Vous semblez de plus en plus libre, de défilé en défilé…

Peut-être est-ce en partie parce que nous nous concentrons sur une seule collection depuis que nous ne faisons plus Louis Vuitton. Après la fin de ce chapitre, -Bernard Arnault a voulu investir dans la marque Marc Jacobs et a nommé un nouveau PDG, Sebastian Suhl. Il vient de chez Givenchy et avant de chez Prada, comprend la valeur du prêt-à-porter, sait être très à l'écoute. C'est un soutien. Je me sens libre de créer, quelque chose se pérennise. J'aime mettre en scène des défilés, c'est mon travail, et cela me rend heureux. Quand les gens viennent nous voir à la fin de la Fashion Week pour dire : " Merci d'être là, sans vous New York serait une Fashion Week ennuyeuse ", cela me donne de l'énergie pour aller plus loin.

propos recueillis par, Carine bizet

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