SOURCE HUFFPOST MAROC- Zoubida Senoussi et Abdessamad Moustaid - MAI 2016
MODE - Pour la majorité des femmes marocaines, le luxe évoque "l'esthétique, la beauté et l'élégance", selon une étude réalisée par le cabinet Marketing B. Voilà pour la théorie, car dans les faits, la récente fermeture des Galeries Lafayette à Casablanca et leur remplacement par des marques low cost interroge sur la maturité du marché marocain du prêt-à-porter de luxe.
Pour Éléonore Bénit, rédactrice en chef du magazine Icônes (Groupe Telquel), "le marché du luxe, comme tous les marchés de niche, a ses limites et n’est pas extensible à merci. Le départ successif de marques comme Miu Miu ou Prada il y a quelques mois indiquait déjà que le marché du retail de luxe au Maroc était – et est toujours – loin d’être mature. À l’inverse, une marque comme Tati répond de façon bien plus cohérente à la réalité du pouvoir d’achat de la majorité des habitants des grandes villes de notre pays".
Loin d'être mature, ce marché pourrait également être impacté par les habitudes d'achat et les comportements des consommateurs aisés, qui préfèrent faire leurs emplettes à l'étranger dans les capitales du luxe comme Milan, Paris ou encore Dubai, "où l'on dispose de plus de choix et de.... discrétion", estime Sofia Benbrahim, fondatrice de Shoelifer, média marocain axé sur le luxe et l’art de vivre.
"Consommer du luxe, c'est vivre une expérience"
Pour Meryame Mellouk, professeur en marketing de luxe à l'Université Hassan II à Casablanca, "la mobilité à l’international fait que les achats se font en général dans d’autres pays où l'on pense bénéficier du produit global offert par le luxe (évènements privés, accueil personnalisé, collections privées…) bref, tout ce qu’offrent les maison de luxe à leurs clientèles qu’on ne trouve pas forcement au Maroc. Ajouter à cela l’exclusivité, un plus grand choix et les avantages fiscaux (même si cela changera bientôt)".
Pour la rédactrice en chef du magazine Icône, il s'agit même d'une "évidence, non pas qu’ils (les consommateurs) le 'préfèrent' mais que les habitudes de consommation prennent parfois du temps à se modifier". Selon elle, "pendant des années, certaines marques n’étaient pas distribuées au Maroc. La clientèle marocaine habituée à la consommation de produits de luxe est très exigeante et voyage beaucoup, ce qui continue de favoriser l’achat à l’étranger. Consommer du luxe, ce n’est pas seulement acquérir un produit, mais c’est aussi - et peut-être surtout - vivre une 'expérience' hors norme, composée d’une multitude de codes qui entourent l’acte d’achat", explique-t-elle.
"Lorsqu’on est en vacances, loin de chez soi ou dans une capitale mondiale réputée pour son élégance, son savoir-faire ou son expertise 'shopping', l’achat est alors entouré d’un aura ou d’un supplément d’âme qu’on ne peut pas acquérir à deux pas de chez soi. La possibilité de bénéficier de la détaxe entre aussi évidemment en ligne de compte".
La guerre sans fin contre le faux
Et la contrefaçon dans tout ça? "Le marché du luxe est destiné à une clientèle particulière, une personne qui peut se permettre un sac à 30.000 dirhams n'ira jamais acheter de la contrefaçon", tranche Sofia benbrahim.
Même son de cloche chez Éléonore Bénit: "La circulation de faux existe au Maroc depuis des décennies et répond essentiellement au besoin d’une population (locale ou étrangère) qui n’aurait pas forcément les moyens d’accéder aux produits de luxe authentiques d’assouvir son désir. Pour autant, la contrefaçon demeure un enjeu majeur pour les géants du secteur, non tant pour l’aspect financier que pour une question d’image. Et c’est une guerre sans fin: plus un produit a du succès, plus il sera copié".
Reste enfin le rapport si particulier qu'entretiennent les consommateurs marocains avec les produits de luxe. Il est de notoriété publique que les Marocains investissent beaucoup dans l'or, cette "valeur sûre, contrairement à un sac X ou Y qui fait son temps", estime Sofia Benbrahim.
Pour Meryame Mellouk, les consommateurs marocains "font des achats 'investissement' dont ils savent impertinemment la valeur, et peuvent aller jusqu’à s’endetter pour acquérir un bien durable qui entre dans le patrimoine familial comme la joaillerie, les pièces de collection ou l'horlogerie".
Qu'en est-il des autres secteurs du luxe? "Il me semble que celui de l’automobile au Maroc se porte extrêmement bien, et ce malgré la taxe de luxe créée il y a deux ans. Celui de l’horlogerie aussi, notamment pour certaines très grandes maisons comme Cartier ou Rolex. Avec la montre, la voiture est l’un des premiers marqueurs sociaux pour une population. Dans un pays comme le Maroc où l’hétérogénéité sociale est aussi forte, dire au monde combien l’on vaut équivaut à dire qui l’on est", conclut Éléonore Bénit.
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